AJACCIO COMME TÊTE DE PONT

La Méditerranée figure le deuxième bassin de navigation mondial et attire 15,8% des passagers. Dans cet espace, la Corse a une carte importante à jouer. Et c’est Ajaccio qui figure en tête de pont. En 2018, 400 000 croisiéristes débarqueront dans la cité impériale.

Par Véronique Emmanuelli

La Corse figure en bonne position sur le marché des croisières en Méditerranée. Mais, en règle générale, c’est à Ajaccio et au-delà en Corse-du-Sud que débarquent une majorité de croisiéristes. Et l’année 2018 ne déroge pas à cette tendance de fond. Ainsi, 190 escales sont prévues dans la cité impériale, l’équivalent de 400 000 visiteurs. Porto-Vecchio, Bonifacio, Propriano accueilleront un total de 108 escales, soit 42 000 passagers. Dans le même temps, du côté de Bastia, on table sur 33 escales et on attend 11 000 passagers. Le site n’est reconnu comme une étape que par une minorité de paquebots. Car, pour les armateurs, en règle générale, la ville de Haute-Corse est vue comme une contrainte. En cause, des infra- structures portuaires qui laissent peu de marge de manœuvre. C’est bien connu. « La croisière c’est avant tout et toujours l’histoire d’un bateau qui entre dans un port. Un port qui n’est pas dimensionné pour accueillir les navires du marché ne peut pas prétendre se positionner sur ce marché. Quels que soient les charmes de la destination et les stratégies promotionnelles mises en œuvre. En dix ans, la capacité moyenne des navires est passée de 1122 passagers à 2105 passagers, soit près du double », assurent les professionnels du secteur.

La bataille des ports
Bastia, premier port de l’île en termes de trafic et second port de France s’agissant du trafic passager, a vite fait d’atteindre ses limites face aux mastodontes des mers qui sillonnent la Méditerranée. Et pour cause. « Le plan d’eau comporte huit postes à quais dont les longueurs s’échelonnent de 114 à 245 mètres. Ce qui restreint le potentiel d’accueil. En outre, il faut compter avec le poste 8 qui souffre d’une exposition très défavorable aux conditions météorologiques », explique-t-on. Dans le même temps, dans les chantiers navals, on construit toujours plus grand et on enchaîne les records. Pour l’armateur, la taille revue à la hausse est synonyme de rentabilité accrue. Le mécanisme est simple.
Plus un paquebot est imposant plus la compagnie réalise des économies d’échelle. Ainsi, en avril 2018, le plus grand paquebot du monde, le Symphony of the Seas – 362 mètres de long, 47 mètres de large et 66 mètres de hauteur pour 6 780 passagers embarqués – a débuté sa première campagne estivale de croisières en Méditerranée. Il mesure un mètre de plus que son sister-ship, l’Harmony of the Seas lancé en 2016 et à peine trente mètres de plus que le plus grand navire qui s’est amarré à Ajaccio. « Le môle croisière nous permet de recevoir des navires de croisière de 338, de type Independence of the Seas.
Par exemple, chaque semaine, le jeudi, nous accueillons le MCS Fantasia qui mesure 333 mètres de long. Notre grande force est de pouvoir accueillir dans les bassins du centre-ville six bateaux de façon simultanée, sans limite de taille ou presque. Nous bénéficions de la meilleure capacité portuaire de l’île », commente Marie-Louise Giudicelli, directrice du port d’Ajaccio.

 

S’adapter au marché
Ajaccio peut compter sur ses infrastructures portuaires performantes mais aussi sur des circonstances favorables ou plutôt « une situation géographique bénie des dieux », selon la formule de la responsable. « Nous avons la chance d’être situé dans un golfe très bien abrité, même s’il est exposé en sud-ouest. La plupart du temps les tempêtes qui s’abattent sur la Méditerranée occidentale proviennent du nord, nord-ouest. Le sud- ouest est plus rare. » Dans ces conditions, Ajaccio offre un autre atout d’importance. « Nous sommes également un port de repli y compris pour les ferries. À plusieurs reprises cet hiver, les navires à destination de Bastia ont été déroutés sur Ajaccio », rappelle la directrice. Sur le front de la croisière c’est surtout avec Propriano que le principe de complémentarité s’exerce. Explication. « Propriano au fond du golfe du Valinco va être pénalisé par la houle d’est. Les navires pourront remonter vers Ajaccio, les jours où ils risqueraient de ne pas pouvoir atteindre Propriano. Sur le plan terrestre, il n’y a qu’à déplacer des autocars. Ce qui est plus simple que l’annulation en urgence d’une escale compte tenu des conditions météorologiques. Dans l’extrême sud, les bateaux peuvent passer facilement de Bonifacio à Porto- Vecchio aussi », détaille Marie-Louise Giudicelli. Dans ce contexte porteur, de nouvelles configurations s’esquissent. Ce qui revient, d’une certaine manière, à suivre le mouvement. Car on a le sentiment, une fois de plus, d’arriver à un nouvel âge. « La physionomie des navires est en pleine évolution. Nous avons affaire à des unités plus larges et plus hautes à la fois.

Optimiser les conditions d’accueil

C’est pourquoi la Chambre de commerce et d’industrie d’Ajaccio et de Corse-du-Sud (CCIAS) lance, de façon régu- lière, des chantiers afin d’amé- liorer et de conforter les conditions d’accueil de ces grands navires », résument les autorités portuaires. Au début de l’année 2018, les travaux effectués consistent à position- ner des pare-amarres « de façon à mettre en sécurité les passagers qui transitent sous les amarres en tension », précise-t-on. Au même moment, un bollard de pointe surélevé de trois cents tonnes est installé « pour sécuriser toujours davantage l’amarrage des navires et accroître le confort de ceux-ci ». Dans la feuille de route de l’institution consulaire figurent « différents projets d’optimisation des conditions d’accueil du môle croisière ». À l’étude, la mise en place d’un coffre d’amarrage, le déroctage du pignon rocheux « afin de gagner de l’espace et de faire entrer des navires plus larges ». La construction d’un duc-d’Albe (ouvrage d’accostage) est à l’ordre du jour. Cette fois, il s’agit « d’augmenter la surface d’accostage ». Le quai des Capucins figure encore au cœur de la réflexion de la CCIACS. D’ici quelques jours, le port d’Ajaccio comptera deux nouvelles zones d’inspection filtrage dédiées à l’activité croisière. On change de système. « Pour l’heure ces opérations sont réalisées en gare maritime », précise-t-on. Désormais, « À partir de mi-juillet, le contrôle peut être effectué en totalité grâce à quatre RX et à quatre portiques pour le môle croisière ainsi que deux RX et deux portiques pour les Capucins Nord et Sud qui correspondent aux deux autres postes à quais utilisés, destinés, en priorité, aux escales croisière », détaillent les responsables.

Concurrence internationale
L’innovation constitue un vecteur d’attractivité supplémentaire. Ajaccio pousse l’avantage et affirme sa « capacité à maîtriser et à dissocier toujours mieux les flux de passagers. Ce qui permet de maintenir un degré de sécurité maximale tandis que le trafic enregistre une augmentation sensible. Le port gère, en plus des croisières une activité ferry et fret non négligeable ». À ce stade, pour le premier port insulaire en termes de croisières, l’enjeu est de « rester compétitif au plan international s’agissant des infrastructures et des tarifs afin de continuer à fidéliser un maximum de compagnies de croisières représentatives de toutes les catégories de clientèle », assure la responsable. En parallèle, on plaide pour un niveau « raisonnable et optimisé de fréquentation du centre-ville et des lieux d’excursion ». « Il ne s’agit pas du tout d’aller dans le sens d’un développement débridé et inconscient, ce qui risquerait d’ailleurs de nuire à la destination. Le modèle que nous soutenons équivaut à deux cents escales annuelles échelonnées sur une période de huit mois, toutes catégories de navires confondues. » Du côté de la CCI de Haute-Corse, les attentions se concentrent sur le segment plus spécifique de la croisière de luxe et des croisiéristes à fort pouvoir d’achat, « autour de la vie locale et de l’authenticité », insiste-t-on. Le pragmatisme et la configuration portuaire l’emportent. Bastia n’a pas les moyens de recevoir de grosses unités. « Nous sommes limités à 230 mètres. Or la longueur moyenne d’un paquebot de croisière est aujourd’hui de 300 mètres », souligne-t-on.

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