A la une – Novembre 2013

La politique déboussolée

L’affaire « Leonarda » en dit long sur une République qui ne sait plus quelles sont ses valeurs, sur un pouvoir incapable de faire appliquer la loi, paralysé par sa propre majorité pour prendre la moindre décision. Ce n’est pas véritablement nouveau, mais cela prend aujourd’hui une tournure inquiétante nourrissant une exaspération d’une intensité jamais atteinte.

Les Français ont bien décelé cette absence de cap. C’est d’ailleurs une raison majeure de leur défiance à l’égard de l’exécutif. Dans le baromètre Ifop pour le JDD, réalisé avant la prise de parole élyséenne les conditions de l’expulsion de la collégienne kosovare, le Président battait, à nouveau son propre record d’impopularité, enregistrant 77% de mécontents. Il entrainait le Premier ministre dans sa chute avec 70% d’insatisfaits. Dans leur propre camp, les deux têtes de l’exécutif recueillaient moins des deux tiers de soutien. Au sein même du Gouvernement, il n’y a plus que le Ministre de l’Intérieur pour  tenter de sauver les meubles. Plus aimé par les sympathisants de droite que par ceux de gauche, Manuel Valls apparaît comme le dernier garant de l’autorité de l’Etat. Souvent comparé au Nicolas Sarkozy de 2002, maniant habillement fermeté et souplesse, il est pourtant dans une situation très différente. Nicolas Sarkozy à l’époque était un problème pour le Président et son Premier ministre comme l’est Manuel Valls aujourd’hui. Il apparaissait comme le rempart le plus crédible au Front National. Mais il rassemblait d’abord largement ses propres électeurs. Ce que Valls est loin de parvenir à faire, l’empêchant de dessiner son horizon présidentiel.

Toutes les analyses politiques placent le Front national au centre du débat. Alors même que les protagonistes s’en défendent, le parti de Marine Le Pen est bel et bien devenu leur boussole. Plusieurs indicateurs, amplement commentés, en témoignent. Pour la première fois dans l’histoire du baromètre Tns Sofres pour le Figaro Magazine, Marine Le Pen se hisse sur la troisième marche du podium des cotes d’avenir des personnalités politiques. Une enquête Ifop pour le Nouvel Observateur donne le FN en tête des intentions de vote pour le scrutin des élections européennes de juin 2014. « Un sondage défouloir pour une élection défouloir ! » me confiait laconiquement un politologue avisé. Le troisième élément, c’est bien sûr la victoire du FN lors de l’élection cantonale de Brignoles, confirmant dans les faits les tendances observées dans les sondages. Tout s’est passé comme si d’une simple élection locale on pouvait en tirer la conclusion d’une inexorable montée du parti d’extrême droite. Du Front de gauche à l’UMP, sans parler de l’attitude des media, cette victoire a été décortiquée et exploitée, rarement replacée à sa juste dimension. Il y a  ceux qui se sont pris les pieds dans le tapis du Front Républicain et ceux, parfois les mêmes, qui ont utilisé cet événement pour faire oublier la défaite d’une ministre à la primaire socialiste de Marseille.

La dernière enquête de CSA pour BFM dans laquelle la présidente du Front National apparaît aux yeux des Français comme la meilleure opposante à François Hollande et à Jean Marc Ayrault nourrit les inquiétudes. Et il y a de quoi. Avec 46%, elle devance de très loin les autres challengers testés. François Fillon n’obtient que 18%, Jean Luc Mélenchon 13% ex æquo avec Jean-François Copé.

Enfin, dans la synthèse du Ministère de l’Intérieur qui agrège le contenu des rapports réalisés par les Préfets sur l’ensemble du territoire, l’alarmisme prévaut. L’exaspération des Français y est détaillée dans tous les domaines. Les risques électoraux pour la majorité et l’opposition parlementaire y sont explicitement évoqués. Pour les Préfets, c’est un vote « bleu Marine » qui est clairement en train de monter.

La gestion de l’affaire « Leonarda » apportera, sans aucun doute, de l’eau au moulin de ce mouvement épidermique qui traverse le pays. Plus que jamais les questions de l’immigration, du multiculturalisme, de l’autorité entrent en concurrence avec les préférences socio-économiques des Français, faisant changer assez profondément les lignes idéologiques à l’intérieur même des groupes sociaux. Clairement le choix droite/gauche est bien celui d’une politique de deux axes autour desquels s’articulent les valeurs culturelles et le rôle économique de l’Etat. Aujourd’hui, parce qu’il ne fait pas de choix clairs,  le PS peut perdre autant du côté de sa gauche sociale que de sa gauche sociétale. De la même manière et pour les mêmes choix stratégiques, l’UMP peut perdre son électorat libéral comme son électorat conservateur.  Tout cela ouvrant au FN la voie d’une « campagne au peuple » pour mener la politique du pire.

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