A la une : Juillet 2014

La dernière tribune de Paul Antonietti
Les racines du mal français

Quelques jours avant son décès brutal notre collaborateur et ami avait rédigé son ultime tribune. Comme a son habitude il avait un jugement lucide et ciselé sur une problématique sociétal. Cette fois il flétrissait l’hostilité d’un pays à se réformer. Avec en corollaire l’emprise du Front National que droite et gauche semblent impuissantes à pourfendre vraiment. Un hasard heureux m’a conduit récemment à une rencontre avec plusieurs ambassadeurs qui, tous, quel qu’ait été leur ancrage politique, m’ont fait part de leur sentiment commun: pourquoi notre pays était-il incapable de mettre en œuvre ce qui était nécessaire pour son salut économique, financier et social en dépit de l’exemple donné par certains autres dont les dirigeants avaient su assumer leurs responsabilités quand et comme il convenait? Cette interrogation, dépassant les clivages partisans, incite à un examen qui oblige en effet à considérer qu’il y a une spécificité française tenant à plusieurs éléments susceptibles de s’attacher au comportement de droite comme de gauche. Pour résumer, ce n’est pas le fond des programmes et des projets qui serait inapte à la radicalité mais notre terreau républicain et notre manière de concevoir la politique qui expliqueraient, face au réel, la pusillanimité de l’ensemble de nos gouvernants.
La cause généralement invoquée se rapporterait à la peur de la HYPERLINK « http://plus.lefigaro.fr/tag/rue » \t «  » rue. Tout pouvoir confronté à l’inévitable rudesse de ce qu’il doit imposer et inquiet des conséquences populaires, syndicales ou autres qui en résulteront penchera en faveur de l’affadissement, voire du retrait. Parce que rien ne serait pire pour lui et son image que l’irruption, dans l’espace superficiellement serein de la vie parlementaire et de la démocratie, d’un désordre et d’une imprévisibilité qui viendraient gangrener, voire détruire les repères et les lignes classiques.

Un jeu de rôles
Par ailleurs, là où d’autres pays n’ont aucune difficulté pour faire prévaloir l’intérêt national parce qu’il y a consensus sur l’essentiel, la France est apparemment tiraillée entre le souci du bien commun et ce qu’il justifierait d’un côté et, de l’autre, le culte du partisan et de l’idéologique, qui l’emporte à tout coup. Il est en effet frappant de constater à quel point le jeu et les arrangements politiques sont prédominants et comme ils viennent s’interposer entre une réalité à réformer durement, douloureusement et les pratiques de pouvoir. L’intérêt national, au lieu de rassembler, est éclaté en corporatismes et en chapelles de sorte qu’un président de la République, sauf exceptions, est plus préoccupé par sa sauvegarde et celle de son camp que par le destin transcendant de la nation. Et l’opposition est plus obsédée par la frénésie du désaccord à tout prix que par la volonté d’approuver quand la cause est objectivement bonne. Faire mal à l’autre est l’impératif premier: une démocratie de coups et de dissentiment. Ce poison de la discorde obligatoire a instillé dans les veines républicaines le préjugé que rien ne saurait être accepté tel quel, émanant d’un Etat souhaité à la fois surabondant et effacé. Il y a, dans notre code politique comme il y a un code génétique, le besoin de nous persuader que ce qui a été obtenu par intimidation, arraché par contrainte mérite seul d’être salué parce qu’une aura officielle ne le dégraderait pas. Le paradoxe est alors le suivant: qu’en même temps l’Etat, dans son action, craint la rue et que la rue ne croit qu’en elle et plus trop à l’Etat. Notre République est une paix durablement armée.

Le front de la discorde
De plus, l’emprise de plus en plus massive du HYPERLINK « http://plus.lefigaro.fr/tag/fn » \t «  » FN sur notre espace civique ne cesse de susciter, de la part des partis de gouvernement, comme une réserve, une retenue, une hésitation. Comme si gauche et droite se trouvaient en permanence en train d’osciller, sur tous les plans, notamment judiciaire, entre ce qui serait légitime et nécessaire et ce qui porterait haut l’affrontement idéologique avec le FN. Il y a une radicalité qui ne couronne pas, de manière cohérente, des projets parce qu’elle pourrait donner l’impression d’un extrémisme honni au moins en façade. Parce que le rapport des partis classiques avec le FN n’a jamais été clairement questionné et éclairé, subtilement ou ostensiblement on favorise une incidence démesurée de ce dernier sur l’exercice du pouvoir et ses modalités courageuses ou tièdes. Enfin, notre vie politique garde probablement dans sa tête un ou deux spécimens du courage, de l’entêtement, de la rigueur et de la vérité même peu politicienne et elle semble les avoir plus constitués comme repoussoirs que pour modèles. Ainsi Raymond Barre, avec une sorte de joie et de sadisme allègres, bouscula tous les codes et crut qu’il pourrait pousser au bout des exigences de lucidité et de brutalité et que les Français lui en sauraient gré. On sait ce qu’il en a été. Depuis, en tout responsable de haut niveau, il y a un Barre assassiné. Et les citoyens, en France, rêvent qu’on leur parle de douceurs avec un ton martial.

Paul Antonietti

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